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DE GUSTAVE FLAUBERT.

leur marchandise de 30 p 100. Ô humanité ! C’était très drôle comme ça tombait, et ce qu’il y a eu de lamentations et de gueulades était fort aussi. Ç’a été une symphonie de jérémiades, pendant deux jours, à rendre sec comme un caillou le cœur le plus sensible ! On a cru à Rouen à la fin du monde (textuel). Il y a eu des scènes d’un grotesque démesuré, et l’autorité mêlée là dedans ! M. le préfet, etc.

Je suis peu sensible à ces infortunes collectives. Personne ne plaint mes misères, que celles des autres s’arrangent ! Je rends à l’humanité ce qu’elle me donne, indifférence. Va te faire foutre, troupeau ; je ne suis pas de la bergerie ! Que chacun d’ailleurs se contente d’être honnête, j’entends de faire son devoir et de ne pas empiéter sur le prochain, et alors toutes les utopies vertueuses se trouveront vite dépassées. L’idéal d’une société serait celle en effet où tout individu fonctionnerait dans sa mesure. Or je fonctionne dans la mienne ; je suis quitte. Quant à toutes ces belles blagues de dévouement, sacrifice, abnégation, fraternité et autres, abstractions stériles et dont la généralité humaine ne peut tirer parti, je les laisse aux charlatans, aux phraseurs, aux farceurs, aux gens à idées comme le sieur Pelletan.

Ce n’est pas sans un certain plaisir que j’ai contemplé mes espaliers détruits, toutes mes fleurs hachées en morceaux, le potager sens dessus dessous. En contemplant tous ces petits arrangements factices de l’homme que cinq minutes de la nature ont suffi pour bousculer, j’admirais le vrai ordre se rétablissant dans le faux ordre. Ces choses tourmentées par nous, arbres taillés, fleurs qui