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CORRESPONDANCE

habitués à penser que cela les dérange comme un événement. Quant à moi du reste, je n’aurai guère cet embarras. J’achèterai peu de propriétés !

J’ai été bien heureux que ma dernière lettre t’ait fait tant de plaisir ! Tu as enfin compris et approuvé même ce qui d’abord t’avait blessée. La nature, va, s’est trompée en faisant de toi une femme : tu es du côté des mâles. Il faut te souvenir de cela toujours, quand quelque chose te heurte, et voir en toi si l’élément féminin ne l’emporte pas. Poésie oblige. Elle oblige à nous regarder toujours comme sur un trône et à ne jamais songer que nous sommes de la foule et nous y trouvons compris. T’indignerais-tu si on te disait du mal des Français, des chrétiens, des provençaux ? Laisse donc là ton sexe comme ta patrie, ta religion et ta province. On doit être âme le plus possible, et c’est par ce détachement que l’immense sympathie des choses et des êtres nous arrivera plus abondante. La France a été constituée du jour que les provinces sont mortes, et le sentiment humanitaire commence à naître sur les ruines des patries. Il arrivera un temps où quelque chose de plus large et de plus haut le remplacera, et l’homme alors aimera le néant même, tant il s’en sentira participant.

J’ai dit aux vers du tombeau : vous êtes mes frères, etc.

C’était beau, le bénissement des ânes et des vaches au moyen âge. Mais ce qui était humilité deviendra intelligence. La science, en cela, marche en avant. Pourquoi la poésie n’irait-elle pas plus