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DE GUSTAVE FLAUBERT.

du Helder). Il lui a fait écrire sur le terrain des rétractations. Et ce gredin-là, dans son pamphlet, accuse Hugo de lâcheté, d’avoir poussé à l’assassinat, etc. Et il le menace de la vengeance ! Ah ! quelles canailleries s’étalent sur le monde ! Quand donc cela finira-t-il ? Quelque chose à tous, tant que nous sommes, nous pèse sur le cœur. Quand donc viendra l’ouragan pour nous soulager de ce fardeau ?

Ce bon Leconte rêve les Indes, aller là-bas et y mourir. Oui, c’est un beau rêve. Mais c’est un rêve ; car on est si pitoyablement organisé qu’on en voudrait revenir, on crèverait de langueur, on regretterait la patrie, la mine des maisons et les indifférents même. Il faut se renfermer et continuer tête baissée dans son œuvre, comme une taupe. Si rien ne change, d’ici à quelques années, il se formera entre les intelligences libérales un compagnonnage plus étroit que celui de toutes les sociétés clandestines. À l’écart de la foule, un mysticisme nouveau grandira. Les hautes idées poussent à l’ombre et au bord des précipices, comme les sapins.

Mais une vérité me semble être sortie de tout cela ; c’est qu’on n’a nul besoin du vulgaire, de l’élément nombreux des majorités, de l’approbation, de la consécration. 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et imbécile. Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. L’égalité sociale a passé dans l’esprit. On fait des livres pour tout le monde, de l’art pour tout le monde, de la science pour tout le monde, comme on construit des chemins