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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Je ne travaillerais pas au bruit du canon. Celui de mon bois qui pète suffit à me donner quelquefois des soubresauts d’effroi. Je sais bien que tout cela est d’un enfant gâté et d’un piètre homme, en somme. Mais enfin, quand les poires sont gâtées on ne les rend pas vertes. Ô jeunesse ! jeunesse ! que je te regrette ! Mais t’ai-je jamais connue ? Je me suis élevé tout seul, un peu par la méthode Baucher, par le système de l’équitation à l’écurie et de la pile en place. Cela m’a peut-être cassé les reins de bonne heure. Ce n’est pas moi qui dis tout cela, ce sont les autres.

Vous êtes heureux, vous autres, les poètes, vous avez un déversoir dans vos vers. Quand quelque chose vous gêne, vous crachez un sonnet et cela soulage le cœur. Mais nous autres, pauvres diables de prosateurs, à qui toute personnalité est interdite (et à moi surtout), songe donc à toutes les amertumes qui nous retombent sur l’âme, à toutes les glaires morales qui nous prennent à la gorge !

Il y a quelque chose de faux dans ma personne et dans ma vocation. Je suis né lyrique, et je n’écris pas de vers. Je voudrais combler ceux que j’aime et je les fais pleurer. Voilà un homme, ce Bouilhet ! Quelle nature complète ! Si j’étais capable d’être jaloux de quelqu’un, je le serais de lui. Avec la vie abrutissante qu’il a menée et les bouillons qu’il a bus, je serais certainement un imbécile maintenant, ou bien au bagne, ou pendu par mes propres mains. Les souffrances du dehors l’ont rendu meilleur. Cela est le fait des bois de haute futaie : ils grandissent dans le vent et poussent à travers le silex et le granit, tandis que les espa-