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CORRESPONDANCE

pète : si tu veux que je vienne, maintenant, tout de suite, pendant un mois, deux mois, quatre mois, coûte que coûte, j’irai ; tant pis ! Sinon, voici mes plans et ce que j’ai fait. D’ici à la fin de la Bovary je t’irai voir plus souvent, huit jours tous les deux mois, sans manquer d’une semaine, sauf cette fois où tu ne me reverras qu’à la fin de janvier […]. Ainsi nous nous verrons ensuite au mois d’avril, de juin, de septembre, et dans un an je serai bien près de la fin. J’ai causé de tout cela avec ma mère. Ne l’accuse pas (même en ton cœur), car elle est plutôt de ton bord. J’ai pris avec elle mes arrangements d’argent et elle va faire cette année ses dispositions pour mes meubles, mon linge, etc. J’ai déjà avisé un domestique que j’emmènerai à Paris. Tu vois donc que c’est une résolution inébranlable et, à moins que je ne sois crevé d’ici à trois cents pages environ, tu me verras installé dans la capitale. Je ne déménagerai rien de mon cabinet parce que ce sera toujours là que j’écrirai le mieux, et qu’en définitive je passerai le plus de temps, à cause de ma mère qui se fait vieille. Mais rassure-toi, je serai piété là-bas et bien.

Sais-tu où m’a mené la mélancolie de tout cela et quelle envie elle m’a donnée ? Celle de foutre là à tout jamais la littérature, de ne plus rien faire du tout et d’aller vivre avec toi, en toi et de reposer ma tête entre tes seins au lieu de me la masturber sans cesse pour en faire éjaculer des phrases. Je me disais : l’Art vaut-il tant de tracas, d’ennui pour moi, de larmes pour elle ? À quoi bon tant de refoulements douloureux pour aboutir en définitive au médiocre ? Car je t’avouerai que je ne suis pas gai. J’ai de tristes doutes par