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CORRESPONDANCE

que j’admire plus que lui, mais il n’y en a pas que j’évoquerais plus volontiers et avec qui je causerais mieux.

L’amour de Mlle Chéron m’émeut médiocrement. Elle est trop laide, cette chère fille ! Quand on a un nez comme le sien, on ne devrait penser qu’à avoir des rhumes de cerveau et non des amants. Et puis cette mère qui l’engage à aimer me paraît stupide. C’est charmant cela, mais après ? Est-ce que Leconte peut l’épouser ? Et si enfin, excédé d’elle, il a la faiblesse de la baiser, crois-tu qu’il ne la plantera pas là, très parfaitement ? Quelle atroce existence il se préparerait le malheureux ! Mais je l’estime trop pour ne pas le préjuger insensible aux charmes de cette infortunée !

Quant au père Babinet (tu vois bien que c’est le premier besoin de l’humanité etc., m’écris-tu) c’est tout bonnement de la paillardise, lui. Quand il dit : il me faut une femme, il entend une belle femme, et si un brave garçon voulait bien lui payer une partie chez les Puces ou chez la mère Guérin, cette âme en peine retirerait immédiatement sa culotte. Voilà. Ne confondons pas les genres. Les hommes de son âge et de son époque ne sont point délicats et, s’ils recherchent autre chose que les filles, c’est parce que les filles sont peu complaisantes pour les vieux. Mets-toi bien cela dans l’esprit. Les sentimentalités des vieux (Villemain, etc.) n’ont d’autre cause que la mine rechignée de la putain, à leur aspect. Tu crois qu’ils cherchent l’amour ? Nenni ! Ils évitent seulement une humiliation et tâchent de faire fuir loin d’eux la preuve évidente de leur vieillesse ou de leur laideur. Leconte a donné à Bouilhet une idée qui me plaît