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CORRESPONDANCE

le partage de rien, et qui n’est pas à elles complètement est contre elles. Tu as tout ce qu’il faut pour te faire détester de ce sexe : beauté, esprit, franchise, etc. Pourquoi donc prends-tu toujours sa défense ? Il faut être du côté des forts.

Sois sans inquiétude, pauvre amie : ma santé est meilleure que jamais. Rien de ce qui vient de moi ne me fait de mal. C’est l’élément externe qui me blesse, m’agite et m’use. Je pourrais travailler dix ans de suite dans la plus austère solitude sans avoir un mal de tête ; tandis qu’une porte qui grince, la mine d’un bourgeois, une proposition saugrenue, etc., me font battre le cœur, me révolutionnent. Je suis comme ces lacs des Alpes qui s’agitent aux brises des vallées (à ce qui souffle d’en bas à ras du sol) ; mais les grands vents des sommets passent par-dessus sans rider leur surface et ne servent au contraire qu’à chasser la brume. Et puis, ce qui plaît fait-il jamais du mal ? La vocation suivie patiemment et naïvement devient une fonction presque physique, une manière d’exister qui embrasse tout l’individu. Les dangers de l’excès sont impossibles pour les natures exagérées.

J’ai reçu avec infiniment de plaisir la nouvelle de la chute de Mrs Augier et Sandeau[1]. Que ces deux canailles-là aient un raplatissement congru, tant mieux, charmant ! Je suis toujours charmé de voir les gens d’argent enfoncés.

Ah ! gens d’esprit, qui vous moquez de l’art par amour des petits sous, gagnez-en donc de

  1. La Pierre de Touche venait d’être accueillie très froidement au Théâtre-Français et jugée avec des réserves malveillantes par la critique.