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DE GUSTAVE FLAUBERT.

la chirurgie. J’ai été aujourd’hui à Rouen, exprès, chez mon frère, avec qui j’ai longuement causé anatomie du pied et pathologie des pieds-bots[1]. Je me suis aperçu que je me foutais dans la blouse (si l’on peut s’exprimer ainsi). Ma science, acquise de fraîche date, n’était pas solide de base. J’avais fait une chose très comique (le plus joli mouvement de style qu’il fût possible de voir et que j’ai pleuré pendant deux heures, mais c’était de la fantaisie pure et j’inventais des choses inouïes. Il en faut donc rabattre, changer, refondre ! Cela n’est pas facile, que de rendre littéraires et gais des détails techniques, tout en les gardant précis. Ah ! les aurai-je connus les affres du style ! Au reste, tout maintenant m’est montagne ! Bouilhet n’a pas été mécontent de ce que je lui ai lu. J’ai fait, je crois, un grand pas, à savoir, la transition insensible de la partie psychologique à la dramatique. Maintenant, je vais entrer dans l’action et mes passions vont être effectives. Je n’aurai plus autant de demi-teintes à ménager. Cela sera plus amusant, pour le lecteur du moins. Il faut qu’au mois de juillet, quand je reviendrai à Paris, j’aie commencé la fin. Puis j’y reviendrai au mois d’octobre, pour prendre un logement. Quand arrivera-t-il donc ce bienheureux jour où j’écrirai le mot : fin ? Il y aura, en septembre prochain, trois ans que je suis sur ce livre. Cela est long, trois ans passés sur la même idée, à écrire du même style (de ce style-là surtout, où ma personnalité est aussi absente que celle de l’empereur de la Chine), à vivre toujours avec les

  1. Voir Madame Bovary, p. 243.