Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
434
APPENDICE.

Oh ! c’est l’amour, c’est encor la jeunesse,
C’est le bonheur !… Elle lui tend les bras ;
En laissant choir sa gerbe elle s’affaisse,
Elle repose, elle ne souffre pas.
La vision qu’embrasse sa pensée
Remplit ses yeux, ils regardent sans voir…
Sur les cailloux sa tête est renversée ;
Ses cheveux blancs flottent au vent du soir
Qui la caresse et soulève autour d’elle
Le chaud parfum des genêts à fleurs d’or ;
D’un vol rapide une noire hirondelle
Rase son front, plane et revient encor.
Broutant au loin le thym et la roquette,
Les grands troupeaux poussent leur bêlement,
Et des béliers la petite clochette
Répand dans l’air son léger tintement.
Le jour s’éteint… La pauvre vieille expire
À ces doux bruits qui la berçaient enfant ;
Sur son visage erre un calme sourire
Qui dans la mort y survit triomphant.
Puis tout se tait : les champs deviennent pâles ;
L’on n’entend plus que le Rhône qui fuit
Et le coucou jetant par intervalles
Son cri sonore au milieu de la nuit.

VI

Un soir d’hiver, dans le pauvre village
Les chiens de garde aboyaient au mistral,
Tout était noir des rochers à la plage,
Hors une porte où pendait un fanal :
C’était le seuil d’une salle creusée
Aux flancs d’un roc ; l’œil en y regardant
Sur la paroi du fond tout embrasée
Aurait pu voir des ombres se tordant.
Dans l’âtre rouge une énorme chaudière
Fait retentir comme un bruit de sanglots.
Et des mulets agitant leurs grelots
Tournent la meule au cylindre de pierre.