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APPENDICE.

La verte olive, à la forte senteur,
Comme un blé mûr en poussière est broyée ;
Puis va s’étendre en pâte délayée
Dans des cabas ou filtre sa liqueur.
Des hommes noirs, huilés, souples, bizarres,
Nus jusqu’aux reins et dressant leurs bras forts,
Sur un pressoir croisent de longues barres
Qu’ils font tourner en y pendant leurs corps.
Dans l’eau qui bout d’autres plongent des cruches
Qu’ils vont vider au pressoir mugissant,
Et, s’échappant comme le miel des ruches,
L’huile à flots d’or en rigoles descend.
Le long des murs le marc chaud des olives
Fume étalé : c’est le lit ou l’on dort.
Des troncs rugueux, ou de vieilles solives,
Forment des bancs et des tables au bord.
Ô moulin d’huile, avec les douces flammes
De tes grands feux de branches d’olivier
Chauffant en rond les vieillards et les femmes,
Comme l’on t’aime aux jours froids de janvier !
C’est toi qui mets tout le village en fête,
Dans ton enceinte on danse tous les soirs ;
En jupon court l’oliveuse coquette
Vient y sourire à tes mouliniers noirs ;
Ton clair fanal la nuit montre un asile
Aux mendiants dans leur route égarés,
Et grâce à toi, bon et chaud moulin d’huile,
Ils ont la soupe et le gîte assurés.

Or, ce soir-là plus froide était la bise,
Et vers minuit les chiens jappaient plus fort,
Lorsqu’un vieillard à longue barbe grise
Parut traînant sa marche avec effort :
Un vieux schako vacille sur sa tête ;
Sous son caban troué, son pantalon
Laisse entrevoir la pourpre d’un galon ;
Sa veste porte un débris d’épaulette ;
Ses pieds sont nus. Quel est cet indigent ?
Près du foyer, insensible il s’affaisse ;
On le secourt, on l’entoure, on s’empresse.
Dans ce vieillard, qui reconnaîtrait Jean ?