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CORRESPONDANCE

Mais une chose me console de ces stupidités, c’est d’avoir rencontré pour ma personne et pour mon livre tant de sympathies. Je compte la vôtre au premier rang, mon cher ami. L’approbation de certains esprits est plus flatteuse que les poursuites de la police ne sont déshonorantes. Or, je défie toute la magistrature française avec ses gendarmes et toute la Sûreté générale, y compris ses mouchards, d’écrire un roman qui vous plaise autant que le mien.

Voilà les pensées orgueilleuses que je vais nourrir dans mon cachot.

Si mon œuvre a une valeur réelle, si vous ne vous êtes pas trompé enfin, je plains les gens qui la poursuivent. Ce livre qu’ils cherchent à détruire n’en vivra que mieux plus tard et par leurs blessures mêmes. De cette bouche qu’ils voudraient clore, il leur restera un crachat sur le visage.

Vous aurez peut-être, un jour ou l’autre, l’occasion d’entretenir l’Empereur de ces matières.

Vous pourrez, en manière d’exemple, citer mon procès comme une des turpitudes les plus ineptes qui se passent sous son régime. Ce qui ne veut pas dire que je devienne furieux et que vous soyez obligé prochainement de me tirer de Cayenne. Non, non, pas si bête ! Je reste seul dans ma profonde immoralité, sans amour pour aucune boutique ni parti, sans alliance même, et n’étant soutenu, naturellement, par aucun.

Je déplais aux Jésuites de robe courte comme aux Jésuites de robe longue ; mes métaphores irritent les premiers, ma franchise scandalise les seconds.

Voilà tout ce que j’avais à vous dire, et que je