Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
CORRESPONDANCE

541. À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE.
[Croisset, juin 1857.]

Le plaisir que j’ai à recevoir vos lettres, chère Demoiselle, est contre-balancé par le chagrin qui s’y étale. Quelle excellente âme vous avez ! et quelle triste existence que la vôtre. Je crois la comprendre. C’est pourquoi je vous aime.

J’ai connu comme vous les intenses mélancolies que donne l’Angélus par les soirs d’été. Si tranquille que j’aie été à la surface, moi aussi j’ai été ravagé et, faut-il le dire, je le suis encore quelquefois. Mais, convaincu de cette vérité, que l’on est malade dès qu’on pense à soi, je tâche de me griser avec l’Art, comme d’autres font avec de l’eau-de-vie. À force de volonté on parvient à perdre la notion de son propre individu. Croyez-moi, on n’est pas heureux, mais on ne souffre plus.

Non, détrompez-vous ! je ne raille nullement, et pas même dans le plus profond de ma conscience, vos sentiments religieux. Toute piété m’attire et la catholique par-dessus toutes les autres. Mais je ne comprends pas la nature de vos doutes. Ont-ils rapport au dogme ou à vous-même ? Si je comprends ce que vous m’écrivez, il me semble que vous vous sentez indigne ! Alors, rassurez-vous, car vous péchez par excès d’humilité, ce qui est une grande vertu ! Indigne ! pourquoi ? Pourquoi, pauvre chère âme endolorie que vous êtes ? Rassurez-vous. Votre Dieu est bon et vous avez assez souffert pour qu’il vous aime. Mais si