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CORRESPONDANCE

à la figure de toute la force de mon gosier. Je remercie Badinguet. Béni soit-il ! Il m’a ramené au mépris de la masse et à la haine du populaire. C’est une sauvegarde contre la bassesse, par ce temps de canaillerie qui court. Qui sait ! Ce sera peut-être là ce que j’écrirai de plus net et de plus tranchant, et peut-être la seule protestation morale de mon époque. Quelle parenthèse !

Je reviens à Delisle ou plutôt à Bouilhet. C’est bien beau son histoire avec la Sylphide ! Voilà au moins une manière de prendre le sentiment qui ne vous ruine pas l’estomac. Cette Sylphide est une grande femme ! Je l’estime, je la trouve très forte, pleine d’un bon petit chic, tout à fait Pompadour, talon rouge, Fort-l’évêque, etc. Je suis effrayé quand je pense à la quantité […]. Si à chaque amant nouveau il pousse un andouiller aux cornes du mari, ce brave homme doit être non un cerf dix-cors, mais un cerf cent-cors ! Pendant qu’il lui pousse des andouillers, sa femme se repasse des andouilles ! Farce, calembour ! Ne faut-il pas avoir le petit mot pour rire !

À propos d’histoire galante, j’ai été dimanche dernier au Jardin des Plantes. Ce lieu, que l’on appelle Trianon, était autrefois habité par un drôle appelé Calvaire, qui avait une fille qui […] beaucoup avec un nommé Barbelet, qui s’est tué pour l’amour d’elle. C’était un de mes camarades de collège. Il s’est tué à 17 ans, d’un coup de pistolet, dans une plaine sablonneuse que je traversais par un grand vent. J’ai revu la maison où j’avais vu jadis la fillette, partie maintenant on ne sait où. Il y a là maintenant des palmiers en serre