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CORRESPONDANCE

vidu je faisais ! C’est qu’en vérité j’y souffrais cruellement. J’étais prodigieusement irrité et triste. Et puis je suis comme l’Égypte : il me faut, pour vivre, la régulière inondation du style. Quand elle manque, je me trouve anéanti comme si toutes les sources fécondantes étaient rentrées en terre, je ne sais où, et je sens par-dessus moi passer d’innombrables aridités qui me soufflent au visage le désespoir.

Pourquoi donc voulais-tu avoir fini ta Servante pour le 1er  avril ? Voilà de ces choses que tu me permettras de blâmer ! Il ne faut se rien fixer en ces matières, car on se dépêche alors, avec la meilleure bonne foi du monde et sans s’en douter. On doit toujours s’embarquer dans une œuvre comme un corsaire dans son navire, avec l’intention d’y faire fortune, des provisions pour vingt campagnes, et un courage intrépide. On part, mais on ne sait pas quand on reviendra ! On peut, faire le tour du monde.

Tu travailles encore trop vite. Rappelle-toi le vieux précepte du père Boileau : « écrire difficilement des vers faciles ». Songe donc ce que c’est qu’une œuvre de deux mille vers à corriger ! Il faut retourner tous les mots, sous tous leurs côtés, et faire comme les pères Spartiates, jeter impitoyablement au néant ceux qui ont les pieds boiteux ou la poitrine étroite.

Ce brave Bouilhet vient de passer quinze tristes jours à recorriger son « Homme futur ». Mais enfin c’est fini, et bien fini. J’ai été enchanté de ce qu’il m’a envoyé avant-hier. Il me tarde, comme à lui, de voir la chose imprimée, quoique l’impression pour moi ne change rien ordinairement. Ainsi la