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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Quelle charmante chose que le tableau de Paris pendant le système, avec tout ce que vous dites des cafés, des enlèvements, etc. !

Manon Lescaut, enfin, se trouve analysée jusque dans ses entrailles ; ce jugement-là est à mettre par-dessus tous les autres et les dépasse, on n’a plus à y revenir ; à tout ce que vous touchez, vous laissez une empreinte ineffaçable.

Je suis obsédé par votre peste de Marseille comme par le souvenir d’un cauchemar. Vous avez atteint là, ô maître, au dernier terme du pathétique. Aucune description classique de la peste ne m’avait causé un tel frisson ; non seulement on la voit, mais on la sent. Des tableaux entiers, toute une vie, tout un monde en deux lignes : « Sans souci d’odorat, dans sa chambrette obscure, la jolie femme au teint jaune, etc. ». Et quelle psychologie que celle-là (p. 318 et 319) : « Des groupes d’amies, de sœurs », etc. !

Et à travers toutes ces merveilles d’intuition, de reproduction et de langage, l’idée principale, le substratum, le but (la révolution qui vient) ne se perd pas de vue une minute ; tout se rattache à cela dans votre livre, c’est comme l’épine dorsale de ce colosse.

Donnez-nous-en d’autres, cher maître. Croyez bien que je vous admire autant que je vous aime, et acceptez, je vous prie, deux très fortes poignées de main que vous envoie

Votre tout dévoué.

Seriez-vous assez bon pour présenter tous mes respects à Mme Michelet ?