Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
DE GUSTAVE FLAUBERT.

nuaient. Fasse le ciel que cela continue ! Tenez-moi au courant de votre état, et soyez bien convaincue que j’ai pour vous une affection très sincère. Nos relations sont étranges ; sans nous être jamais vus, nous nous aimons. C’est une preuve que les esprits ont aussi leur tendresse, n’est-ce pas ?

J’ai compati à la douleur causée par la mort de votre vieux compagnon[1]. Hélas ! J’ai passé moi-même par toutes ces douleurs trop souvent pour ne pas les comprendre !

Mon hiver a été assez triste. J’ai souffert de rhumatismes et de névralgies violemment, résultat 1o  de chagrins assez graves qui m’ont assailli depuis six mois, et 2o  de l’atroce hiver par lequel nous avons passé. Vers la fin de janvier, j’ai été à Paris, d’où je suis revenu aujourd’hui seulement. Au moins de septembre dernier je me suis mis, après beaucoup d’hésitations, à un grand roman qui va me demander des années et dont le sujet ne me plaît guère. J’ai devant moi une montagne à gravir, et je me sens les jarrets fatigués et la poitrine étroite. Je vieillis. Je perds l’enthousiasme et la confiance en moi-même, qualité sans laquelle on ne fait rien de bon.

Les lectures que j’ai été obligé de faire pour ce livre m’écartent de toute autre étude. Je ne puis donc rien vous dire des derniers ouvrages publiés. Je n’ai même pas ouvert le César de notre souverain, qui est une médiocre chose, à ce qu’il paraît. Mais j’ai été mécontent des critiques autant que

  1. Un officier polonais réfugié, que Mlle de Chantepie hébergeait depuis quinze ans.