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DE GUSTAVE FLAUBERT.

envoyé un homme ni un fusil) nous a replongés dans l’abattement.

C’est le cœur qui nous manque, pas autre chose, car si tout le monde s’entendait, nous pourrions encore avoir le dessus ! Pour nous sauver, je ne vois plus maintenant qu’un miracle ; mais le temps des miracles est passé.

Tu me parais bien raisonnable et bien stoïque, ma chère fille. L’es-tu vraiment, autant que tu le dis ? Quant à moi, je me sens brisé, car je vois nettement l’abîme. Quoi qu’il advienne, le monde auquel j’appartenais a vécu. Les Latins sont finis ! maintenant c’est au tour des Saxons, qui seront dévorés par les Slaves. Ainsi de suite.

Nous aurons pour consolation, avant cinq ou six ans, de voir l’Europe en feu ; elle sera à nos genoux, nous priant de nous unir avec elle contre la Prusse. La première puissance qui va se repentir de son égoïsme, c’est l’Angleterre. Son influence en Orient est perdue ; Alexandre ne fera qu’une bouchée de Constantinople, et cela, prochainement.

Depuis hier, tous les Nogentais et ta grand’mère sont chez toi, à Rouen, pensant être plus en sûreté qu’à Croisset, car ils y seront plus entourés ; mais ta grand’mère se propose de revenir très prochainement à Croisset et de les laisser se débrouiller à Rouen comme ils l’entendront.

J’ai écrit à ton mari de venir samedi soir dîner et coucher à Croisset, afin que nous puissions causer un peu tranquillement.

Tu n’as pas l’air enchantée de la famille Farmer. Elle est trop bourgeoise.

Mais je crois qu’Ernest te rappellera bientôt.