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CORRESPONDANCE

exigences sont insensées et ils font des menaces. Je crois, cependant, qu’ils s’adouciront et qu’on s’en tirera encore. J’ai été ce matin à Croisset, ce qui est dur ! 200 nouveaux soldats y sont arrivés hier. Mais M. Poutrel m’a affirmé que (d’ici à quelque temps du moins) ils resteraient à Dieppedalle. Aurons-nous cette chance-là ? Mon pauvre Émile n’en peut plus ! Sais-tu qu’ils ont brûlé en quarante-cinq jours pour 420 francs de bois ! Tu peux juger du reste.

Avant-hier nous en avons eu deux à loger ici. Mais ils ne sont pas restés.

Nous ne recevons plus aucun journal et nous ne savons rien. On dit les nouvelles de Paris déplorables. Mais avant que le pauvre Paris ne se rende, il se passera des choses formidables. Et quand il se sera rendu, tout ne sera pas fini. Je n’ai plus maintenant qu’une envie, c’est de mourir pour en finir avec un supplice pareil.

Le froid a repris. La neige ne fond pas. J’entends traîner des sabres sur le trottoir et je viens de faire des comptes avec la cuisinière ! Car c’est moi qui m’occupe du ménage, jusqu’à desservir la table tous les soirs. Je vis dans le chagrin et dans l’abjection ! Quel intérieur ! Quelles journées !

Adieu, pauvre loulou. Quand nous reverrons-nous ? Nous reverrons-nous ?