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CORRESPONDANCE

gnerie moderne ». C’était son mot, et il me l’a répété cet hiver plusieurs fois : « je crève de la Commune, etc. »

Le 4 Septembre a inauguré un ordre de choses où les gens comme lui n’ont plus rien à faire dans le monde. Il ne faut pas demander des pommes aux orangers. Les ouvriers de luxe sont inutiles dans une société où la plèbe domine. Comme je le regrette ! Lui et Bouilhet me manquent absolument et rien ne peut les remplacer. Il était si bon, d’ailleurs, et, quoi qu’on dise, si simple ! On reconnaîtra plus tard (si jamais on revient à s’occuper de littérature) que c’était un grand poète. En attendant, c’est un auteur absolument inconnu. Pierre Corneille l’est bien !

Il a eu deux haines : la haine des épiciers dans sa jeunesse, celle-là lui a donné du talent ; la haine du voyou dans son âge mûr, cette dernière l’a tué. Il est mort de colère rentrée et par la rage de ne pouvoir dire ce qu’il pensait. Il a été opprimé par Girardin, par Fould, par Dalloz et par la troisième République. Je vous dis cela parce que j’ai vu des choses abominables et que je suis le seul homme, peut-être, auquel il ait fait des confidences entières. Il lui manquait ce qu’il y a de plus important dans la vie, pour soi comme pour les autres : le caractère. Avoir manqué l’académie a été pour lui un effroyable chagrin. Quelle faiblesse ! Et comme il faut peu s’estimer ! La recherche d’un honneur quelconque me semble d’ailleurs un acte de modestie incompréhensible.

Je n’ai pas été à son enterrement par la faute de Catulle Mendès, qui m’a envoyé un télégramme trop tard. Il y avait foule. Un tas de