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APPENDICE.

considération pour les grands poètes jusqu’à vous priver du nécessaire plutôt que de permettre des honneurs à un écrivain de second ordre.

Deux questions, cependant : si la fontaine, si ce monument d’utilité publique, offert par nous, avait dû porter, comme ornement, tout autre chose que le buste de Louis Bouilhet, l’auriez-vous refusé ?

S’il se fût agi d’un hommage à un de ces grands industriels de notre département, dont la fortune se compte par deux douzaines de millions, l’auriez-vous refusé ? J’en doute.

Prenez garde qu’on ne vous accuse de mépriser ceux qui ne donnent point l’exemple de la fortune !

Pour des hommes si prudents et qui considèrent avant tout le succès, vous vous êtes singulièrement trompés, messieurs ! Le Moniteur universel, l’Ordre, le Paris-Journal, le Bien Public, le XIXe Siècle, l’Opinion nationale, le Constitutionnel, le Gaulois, le Figaro, etc., presque tous les journaux, enfin, se sont déclarés contre vous violemment ; et, pour ne faire qu’une citation, voici quelques lignes du patriarche de la critique moderne, Jules Janin :

« Lorsque vint l’heure enfin de la récompense définitive, on rencontra je ne sais quelle mauvaise volonté qui mit obstacle à l’espérance suprême des amis de Louis Bouilhet. On ne voulut pas de son buste sur une place publique et dans une ville qu’il illustrait de tous les bruits de sa renommée. En vain ses amis proposaient d’amener l’eau sur cette place aride, afin que le buste, ornement de la fontaine, disparût dans ce bienfait ; mais, faites donc entendre aux hommes injustes la cruauté d’un pareil refus ! Ils dresseraient tant qu’on voudrait des images à la guerre. Ils ne veulent pas de la poésie ! »

Parmi vous, d’ailleurs, sur vingt-quatre que vous étiez, onze se sont déclarés pour nous ; et MM.  Vaucquier du Traversin, F. Deschamps et Raoul-Duval ont éloquemment protesté en faveur des lettres.

Cette affaire en soi est fort peu de chose. Mais on peut la noter comme un signe du temps, — comme un trait caractéristique de votre classe — et ce n’est plus à vous, Messieurs, que je m’adresse, mais à tous les bourgeois. Donc je leur dis :

Conservateurs qui ne conservez rien,


Il serait temps de marcher dans une autre voie, — et puisqu’on parle de régénération, de décentralisation, changez d’esprit ! ayez à la fin quelque initiative !

La noblesse française s’est perdue pour avoir eu, pendant deux siècles, les sentiments d’une valetaille. La fin de la bourgeoisie commence parce qu’elle a ceux de la populace. Je ne vois