Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/358

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Il exhiba le dossier.

— Ceci est la procuration de Frédéric. Avec un titre pareil aux mains d’un huissier qui fera un commandement, rien n’est plus simple : dans les vingt-quatre heures… (Elle restait impassible, il changea de manœuvre.) Moi, du reste, je ne comprends pas ce qui le pousse à réclamer cette somme ; car enfin il n’en a aucun besoin !

— Comment ! M. Moreau s’est montré assez bon…

— Oh ! d’accord !

Et Deslauriers entama son éloge, puis vint à le dénigrer, tout doucement, le donnant pour oublieux, personnel, avare.

— Je le croyais votre ami, monsieur ?

— Cela ne m’empêche pas de voir ses défauts. Ainsi, il reconnaît bien peu… comment dirais-je ? la sympathie…

Mme Arnoux tournait les feuilles du gros cahier. Elle l’interrompit, pour avoir l’explication d’un mot.

Il se pencha sur son épaule, et si près d’elle, qu’il effleura sa joue. Elle rougit ; cette rougeur enflamma Deslauriers ; il lui baisa la main voracement.

— Que faites-vous, monsieur !

Et, debout contre la muraille, elle le maintenait immobile, sous ses grands yeux noirs irrités.

— Écoutez-moi ! Je vous aime !

Elle partit d’un éclat de rire, un rire aigu, désespérant, atroce. Deslauriers sentit une colère à l’étrangler. Il se contint ; et, avec la mine d’un vaincu demandant grâce :