Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/366

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patois, et même la taquina sur son accent. Peu à peu, les coins de sa bouche se pincèrent, elle mordait ses lèvres ; elle s’écarta pour bouder.

Frédéric la rejoignit, jura qu’il n’avait pas voulu lui faire de mal et qu’il l’aimait beaucoup.

— Est-ce vrai ? s’écria-t-elle, en le regardant avec un sourire qui éclairait tout son visage, un peu semé de taches de son.

Il ne résista pas à cette bravoure de sentiment, à la fraîcheur de sa jeunesse, et il reprit :

— Pourquoi te mentirais-je ?… tu en doutes… hein ? en lui passant le bras gauche autour de la taille.

Un cri, suave comme un roucoulement, jaillit de sa gorge ; sa tête se renversa, elle défaillait, il la soutint. Et les scrupules de sa probité furent inutiles ; devant cette vierge qui s’offrait, une peur l’avait saisi. Il l’aida ensuite à faire quelques pas, doucement. Ses caresses de langage avaient cessé, et ne voulant plus dire que des choses insignifiantes, il lui parlait des personnes de la société nogentaise.

Tout à coup elle le repoussa, et, d’un ton amer :

— Tu n’aurais pas le courage de m’emmener !

Il resta immobile avec un grand air d’ébahissement. Elle éclata en sanglots, et s’enfonçant la tête dans sa poitrine :

— Est-ce que je peux vivre sans toi !

Il tâchait de la calmer. Elle lui mit ses deux mains sur les épaules pour le mieux voir en face, et, dardant contre les siennes ses prunelles vertes, d’une humidité presque féroce :

— Veux-tu être mon mari ?

— Mais…, répliqua Frédéric, cherchant quel-