Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/384

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la meilleure des républiques, douze cent vingt-neuf procès de presse, d’où il est résulté pour les écrivains : trois mille cent quarante et un ans de prison, avec la légère somme de sept millions cent dix mille cinq cents francs d’amende. » — C’est coquet, hein ?

Tous ricanèrent amèrement. Frédéric, animé comme les autres, reprit :

— La Démocratie pacifique81 a un procès pour son feuilleton, un roman intitulé la Part des Femmes.

— Allons ! bon ! dit Hussonnet. Si on nous défend notre part des femmes !

— Mais qu’est-ce qui n’est pas défendu ? s’écria Deslauriers. Il est défendu de fumer dans le Luxembourg, défendu de chanter l’hymne à Pie IX !

— Et on interdit le banquet des typographes ! articula une voix sourde.

C’était celle de l’architecte, caché par l’ombre de l’alcôve, et silencieux jusqu’à présent. Il ajouta que, la semaine dernière, on avait condamné pour outrages au Roi, un nommé Rouget.

— Rouget est frit ! dit Hussonnet.

Cette plaisanterie parut tellement inconvenante à Sénécal, qu’il lui reprocha de défendre « le jongleur de l’Hôtel de Ville82, l’ami du traître Dumouriez83 ».

— Moi ? au contraire !

Il trouvait Louis-Philippe poncif, garde national, tout ce qu’il y avait de plus épicier et bonnet de coton84 ! Et, mettant la main sur son cœur, le bohème débita les phrases sacramentelles : « C’est toujours avec un nouveau plaisir… — La