Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/487

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puis retombaient à leur place, tellement hébétés par la douleur, qu’il leur semblait vivre dans un cauchemar, une hallucination funèbre. La lampe suspendue à la voûte avait l’air d’une tache de sang ; et de petites flammes vertes et jaunes voltigeaient, produites par les émanations du caveau. Dans la crainte des épidémies, une commission fut nommée. Dès les premières marches, le président se rejeta en arrière, épouvanté par l’odeur des excréments et des cadavres. Quand les prisonniers s’approchaient d’un soupirail, les gardes nationaux qui étaient de faction pour les empêcher d’ébranler les grilles, fourraient des coups de baïonnette, au hasard, dans le tas.

Ils furent, généralement, impitoyables. Ceux qui ne s’étaient pas battus voulaient se signaler. C’était un débordement de peur. On se vengeait à la fois des journaux, des clubs, des attroupements, des doctrines, de tout ce qui exaspérait depuis trois mois ; et, en dépit de la victoire, l’égalité (comme pour le châtiment de ses défenseurs et la dérision de ses ennemis) se manifestait triomphalement, une égalité de bêtes brutes, un même niveau de turpitudes sanglantes ; car le fanatisme des intérêts équilibra les délires du besoin, l’aristocratie eut les fureurs de la crapule, et le bonnet de coton ne se montra pas moins hideux que le bonnet rouge. La raison publique était troublée comme après les grands bouleversements de la nature. Des gens d’esprit en restèrent idiots pour toute leur vie.

Le père Roque était devenu très brave, presque téméraire. Arrivé le 26 à Paris avec les Nogentais, au lieu de s’en retourner en même temps qu’eux,