Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/501

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quatre-vingt-douze gamins pour crier chaque soir : « Des lampions ! », puis en blaguant les principes de 89, l’affranchissement des nègres, les orateurs de la gauche ; il se lança même jusqu’à faire Prudhomme sur une barricade, peut-être par l’effet d’une jalousie naïve contre ces bourgeois qui avaient bien dîné. La charge plut médiocrement. Leurs figures s’allongèrent.

Ce n’était pas le moment de plaisanter, du reste ; Nonancourt le dit, en rappelant la mort de Mgr  Affre et celle du général de Bréa. Elles étaient toujours rappelées ; on en faisait des arguments. M. Roque déclara le trépas de l’Archevêque « tout ce qu’il y avait de plus sublime » ; Fumichon donnait la palme au militaire ; et, au lieu de déplorer simplement ces deux meurtres, on discuta pour savoir lequel devait exciter la plus forte indignation. Un second parallèle vint après, celui de Lamoricière122 et de Cavaignac123, M. Dambreuse exaltant Cavaignac et Nonancourt Lamoricière. Personne de la compagnie, sauf Arnoux, n’avait pu les voir à l’œuvre. Tous n’en formulèrent pas moins sur leurs opérations un jugement irrévocable. Frédéric s’était récusé, confessant qu’il n’avait pas pris les armes. Le diplomate et M. Dambreuse lui firent un signe de tête approbatif. En effet, avoir combattu l’émeute, c’était avoir défendu la République. Le résultat, bien que favorable, la consolidait ; et, maintenant qu’on était débarrassé des vaincus, on souhaitait l’être des vainqueurs.

À peine dans le jardin, Mme  Dambreuse, prenant Cisy, l’avait gourmandé de sa maladresse ; à la vue de Martinon, elle le congédia, puis voulut