Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/570

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— Allez-y voir !

Rien de plus vrai ; Arnoux, affaibli par une attaque, avait tourné à la religion ; d’ailleurs, « il avait toujours eu un fond de religion », et (avec l’alliage de mercantilisme et d’ingénuité qui lui était naturel), pour faire son salut et sa fortune, il s’était mis dans le commerce des objets religieux.

Frédéric n’eut pas de mal à découvrir son établissement, dont l’enseigne portait : « Aux arts gothiques. — Restauration du culte. — Ornements d’église. — Sculpture polychrome. — Encens des rois mages, etc. »

Aux deux coins de la vitrine s’élevaient deux statues en bois, bariolées d’or, de cinabre et d’azur ; un saint Jean-Baptiste avec sa peau de mouton, et une sainte Geneviève, des roses dans son tablier et une quenouille sous son bras ; puis des groupes en plâtre ; une bonne sœur instruisant une petite fille, une mère à genoux près d’une couchette, trois collégiens devant la sainte table. Le plus joli était une manière de chalet figurant l’intérieur de la crèche avec l’âne, le bœuf et l’enfant Jésus étalé sur de la paille, de la vraie paille. Du haut en bas des étagères, on voyait des médailles à la douzaine, des chapelets de toute espèce, des bénitiers en forme de coquille, et les portraits des gloires ecclésiastiques, parmi lesquelles brillaient Mgr  Affre et notre Saint-Père, tous deux souriant.

Arnoux, à son comptoir, sommeillait la tête basse. Il était prodigieusement vieilli, avait même autour des tempes une couronne de boutons roses, et le reflet des croix d’or frappées par le soleil tombait dessus.