Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/613

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Bien que vexé un peu de la découverte, il fit semblant d’en rire ; et l’idée de la Maréchale lui amena celle de la Vatnaz.

Deslauriers ne l’avait jamais vue, non plus que bien d’autres qui venaient chez Arnoux ; mais il se souvenait parfaitement de Regimbart.

— Vit-il encore ?

— À peine ! Tous les soirs, régulièrement, depuis la rue de Grammont jusqu’à la rue Montmartre, il se traîne devant les cafés, affaibli, courbé en deux, vidé, un spectre !

— Eh bien, et Compain ?

Frédéric poussa un cri de joie, et pria l’ex-délégué du Gouvernement provisoire de lui apprendre le mystère de la tête de veau.

— C’est une importation anglaise. Pour parodier la cérémonie que les royalistes célébraient le 30 janvier, des indépendants fondèrent un banquet annuel où l’on mangeait des têtes de veau, et où l’on buvait du vin rouge dans des crânes de veau en portant des toasts à l’extermination des Stuarts. Après thermidor, des terroristes organisèrent une confrérie toute pareille, ce qui prouve que la bêtise est féconde.

— Tu me parais bien calmé sur la politique ?

— Effet de l’âge, dit l’avocat.

Et ils résumèrent leur vie.

Ils l’avaient manquée tous les deux, celui qui avait rêvé l’amour, celui qui avait rêvé le pouvoir. Quelle en était la raison ?

— C’est peut-être le défaut de ligne droite, dit Frédéric.

— Pour toi, cela se peut. Moi, au contraire, j’ai péché par excès de rectitude, sans tenir compte