Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/114

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ces tremblements de terre qui découvrent des trésors, elle lui avait révélé les secrètes opulences de sa nature. Mais il n’existait au monde qu’un seul endroit pour les faire valoir : Paris ! car, dans ses idées, l’art, la science et l’amour (ces trois faces de Dieu, comme eût dit Pellerin) dépendaient exclusivement de la Capitale.

Il déclara le soir, à sa mère, qu’il y retournerait. Mme Moreau fut surprise et indignée. C’était une folie, une absurdité. Il ferait mieux de suivre ses conseils, c’est-à-dire de rester près d’elle, dans une étude. Frédéric haussa les épaules :

— « Allons donc ! » se trouvant insulté par cette proposition.

Alors, la bonne dame employa une autre méthode. D’une voix tendre et avec de petits sanglots, elle se mit à lui parler de sa solitude, de sa vieillesse, des sacrifices qu’elle avait faits. Maintenant qu’elle était plus malheureuse, il l’abandonnait. Puis, faisant allusion à sa fin prochaine :

— « Un peu de patience, mon Dieu ! bientôt tu seras libre ! »

Ces lamentations se répétèrent vingt fois par jour, durant trois mois ; et, en même temps, les délicatesses du foyer le corrompaient ; il jouissait d’avoir un lit plus mou, des serviettes sans déchirures ; si bien que, lassé, énervé, vaincu enfin par la terrible force de la douceur, Frédéric se laissa conduire chez maître Prouharam.

Il n’y montra ni science ni aptitude. On l’avait considéré jusqu’alors comme un jeune homme de grands moyens, qui devait être la gloire du département. Ce fut une déception publique.

D’abord il s’était dit « Il faut avertir Mme Arnoux », et, pendant une semaine, il avait médité des lettres dithyrambiques, et de courts billets, en style lapidaire et sublime. La crainte d’avouer sa situation le retenait. Puis il songea qu’il valait mieux écrire au mari. Arnoux connaissait la vie et saurait le comprendre. Enfin, après quinze jours d’hésitation :

« Bah !