Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/127

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I

Quand il fut à sa place, dans le coupé, au fond, et que la diligence s’ébranla, emportée par les cinq chevaux détalant à la fois, il sentit une ivresse le submerger. Comme un architecte qui fait le plan d’un palais, il arrangea, d’avance, sa vie. Il l’emplit de délicatesses et de splendeurs ; elle montait jusqu’au ciel ; une prodigalité de choses y apparaissait ; et cette contemplation était si profonde, que les objets extérieurs avaient disparu.

Au bas de la côte de Sourdun, il s’aperçut de l’endroit où l’on était. On n’avait fait que cinq kilomètres, tout au plus ! Il fut indigné. Il abattit le vasistas pour voir la route. Il demanda plusieurs fois au conducteur dans combien de temps, au juste, on arriverait. Il se calma cependant, et il restait dans son coin, les yeux ouverts.

La lanterne, suspendue au siège du postillon, éclairait les croupes des limoniers. Il n’apercevait au-delà que les crinières des autres chevaux qui ondulaient comme des vagues blanches ; leurs haleines formaient un brouillard de chaque côté de l’attelage ; les chaînettes de fer sonnaient, les glaces tremblaient dans leur châssis ; et la lourde voiture, d’un train égal, roulait sur le pavé. Çà et là, on distinguait le mur d’une grange, ou bien une auberge, toute seule. Parfois en passant dans les villages, le four d’un boulanger projetait des lueurs d’incendie, et la silhouette