Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/128

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monstrueuse des chevaux courait sur l’autre maison en face. Aux relais, quand on avait dételé, il se faisait un grand silence, pendant une minute. Quelqu’un piétinait en haut, sous la bâche, tandis qu’au seuil d’une porte, une femme, debout, abritait sa chandelle avec sa main. Puis, le conducteur sautant sur le marchepied, la diligence repartait.

À Mormans, on entendit sonner une heure et un quart. — « C’est donc aujourd’hui », pensa-t-il, « aujourd’hui même, tantôt ! »

Mais, Peu à Peu ses espérances et ses souvenirs, Nogent, la rue de Choiseul, Mme Arnoux, sa mère, tout se confondait.

Un bruit sourd de planches le réveilla, on traversait le pont de Charenton, c’était Paris. Alors, ses deux compagnons, Otant l’un sa casquette, l’autre son foulard, se couvrirent de leur chapeau et causèrent. Le premier, un gros homme rouge, en redingote de velours, était un négociant ; le second venait dans la Capitale pour consulter un médecin ; — et, craignant de l’avoir incommodé pendant la nuit, Frédéric lui fit spontanément des excuses, tant il avait l’âme attendrie par le bonheur.

Le quai de la gare se trouvant inondé, sans doute, on continua tout droit, et la campagne recommença. Au loin de hautes cheminées d’usines fumaient. Puis on tourna dans Ivry. On monta une rue ; tout à coup il aperçut le dôme du Panthéon.

La plaine, bouleversée, semblait de vagues ruines. L’enceinte des fortifications y faisait un renflement horizontal ; et, sur les trottoirs en terre qui bordaient la route, de petits arbres sans branches étaient défendus par des lattes hérissées de clous. Des établissements de produits chimiques alternaient avec des chantiers de marchands de bois. De hautes portes, comme il y en a dans les fermes, laissaient voir, par leurs battants entrouverts, l’intérieur