Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/160

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II

Frédéric trouva, au coin de la rue Rumford, un petit hôtel et il s’acheta, tout à la fois le coupé, le cheval, les meubles et deux jardinières prises chez Arnoux, pour mettre aux deux coins de la porte dans son salon. Derrière cet appartement, étaient une chambre et un cabinet. L’idée lui vint d’y loger Deslauriers. Mais, comment la recevrait-il, elle, sa maîtresse future ? La présence d’un ami serait une gêne. Il abattit le refend pour agrandir le salon, et fit du cabinet un fumoir.

Il acheta les poètes qu’il aimait, des Voyages, des Atlas, des Dictionnaires, car il avait des plans de travail sans nombre ; il pressait les ouvriers, courait les magasins, et, dans son impatience de jouir, emportait tout sans marchander.

D’après les notes des fournisseurs, Frédéric s’aperçut qu’il aurait à débourser prochainement une quarantaine de mille francs, non compris les droits de succession, lesquels dépasseraient trente-sept mille ; comme sa fortune était en biens territoriaux, il écrivit au notaire du Havre d’en vendre une partie, pour se libérer de ses dettes et avoir quelque argent à sa disposition. Puis, voulant connaître enfin cette chose vague, miroitante et indéfinissable qu’on appelle le monde, il demanda par un billet aux Dambreuse s’ils pouvaient le recevoir. Madame répondit qu’elle espérait sa visite pour le lendemain.

C’était jour de réception. Des voitures stationnaient