Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/184

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Donc une après-midi, comme elle se baissait devant sa commode, il s’approcha d’elle et eut un geste d’une éloquence si peu ambiguë, qu’elle se redressa tout empourprée. Il recommença de suite ; alors, elle fondit en larmes, disant qu’elle était bien malheureuse et que ce n’était pas une raison pour qu’on la méprisât.

Il réitéra ses tentatives. Elle prit un autre genre, qui fut de rire toujours. Il crut malin de riposter par le même ton, et en l’exagérant. Mais il se montrait trop gai pour qu’elle le crût sincère ; et leur camaraderie faisait obstacle à l’épanchement de toute émotion sérieuse. Enfin, un jour elle répondit qu’elle n’acceptait pas les restes d’une autre.

— « Quelle autre ? »

— « Eh oui ! va retrouver madame Arnoux ! »

Car Frédéric en parlait souvent ; Arnoux, de son côté, avait la même manie ; elle s’impatientait, à la fin, d’entendre toujours vanter cette femme ; et son imputation était une espèce de vengeance.

Frédéric lui en garda rancune.

Elle commençait, du reste, à l’agacer fortement. Quelquefois, se posant comme expérimentée, elle disait du mal de l’amour avec un rire sceptique qui donnait des démangeaisons de la gifler. Un quart d’heure après, c’était la seule chose qu’il y eût au monde, et, croisant ses bras sur sa poitrine, comme pour serrer quelqu’un, elle murmurait : « Oh ! oui, c’est bon ! c’est si bon ! » les paupières entre-closes et à demi pâmée d’ivresse. Il était impossible de la connaître, de savoir, par exemple, si elle aimait Arnoux, car elle se moquait de lui et en paraissait jalouse. De même pour la Vatnaz, qu’elle appelait une misérable, d’autres fois sa meilleure amie. Elle avait, enfin, sur toute sa personne et jusque dans le retroussement de son chignon, quelque chose d’inexprimable qui ressemblait à un défi ; — et il la désirait, pour le plaisir surtout de la vaincre et de la dominer.