Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/202

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les deux bras, un grand geste exprimant qu’elle ne pouvait le recevoir.

Frédéric descendit l’escalier, lentement. Ce caprice-là dépassait tous les autres. Il n’y comprenait rien.

Devant la loge du portier, Mlle Vatnaz l’arrêta.

— « Elle vous a reçu ? »

— « Non ! »

— « On vous a mis à la porte ? »

— « Comment le savez-vous ? »

— « Ça se voit ! Mais venez ! sortons ! j’étouffe ! »

Elle l’emmena dans la rue. Elle haletait. Il sentait son bras maigre trembler sur le sien. Tout à coup elle éclata.

— « Ah ! le misérable ! »

— « Qui donc ? »

— « Mais c’est lui ! lui ! Delmar ! »

Cette révélation humilia Frédéric ; il reprit :

— « En êtes-vous bien sûre ? »

— « Mais quand je vous dis que je l’ai suivi ! » s’écria la Vatnaz ; « je l’ai vu entrer ! Comprenez-vous maintenant ? Je devais m’y attendre, d’ailleurs c’est moi, dans ma bêtise, qui l’ai mené chez elle. Et si vous saviez, mon Dieu ! Je l’ai recueilli, je l’ai nourri, je l’ai habillé ; et toutes mes démarches dans les journaux ! Je l’aimais comme une mère ! » Puis, avec un ricanement : « Ah ! c’est qu’il faut à Monsieur des robes de velours ! une spéculation de sa part, vous pensez bien ! Et elle ! Dire que je l’ai connue confectionneuse de lingerie ! Sans moi, plus de vingt fois, elle serait tombée dans la crotte. Mais je l’y plongerai ! oh oui ! Je veux qu’elle crève à l’hôpital On saura tout ! »

Et, comme un torrent d’eau de vaisselle qui charrie des ordures, sa colère fit passer tumultueusement sous Frédéric les hontes de sa rivale.

— « Elle a couché avec Jumillac, avec Flacourt, avec le petit Allard, avec Bertinaux, avec Saint-Valéry, le grêlé. Non ! l’autre ! Ils sont deux frères, n’importe ! Et