Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/203

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quand elle avait des embarras, j’arrangeais tout. Qu’est-ce que j’y gagnais ? Elle est si avare ! Et puis, vous en conviendrez, c’était une jolie complaisance que de la voir, car enfin, nous ne sommes pas du même monde ! Est-ce que je suis une fille, moi ! Est-ce que je me vends ! Sans compter qu’elle est bête comme un chou ! Elle écrit catégorie par un th. Au reste, ils vont bien ensemble ; ça fait la paire, quoiqu’il s’intitule artiste et se croie du génie ! Mais, mon Dieu ! s’il avait seulement de l’intelligence, il n’aurait pas commis une infamie pareille ! On ne quitte pas une femme supérieure pour une coquine ! Je m’en moque, après tout. Il devient laid ! Je l’exècre ! Si je la rencontrais, tenez, je lui cracherais à la figure. » Elle cracha. « Oui, voilà le cas que j’en fais maintenant ! Et Arnoux, hein ? N’est-ce pas abominable ! Il lui a tant de fois pardonné ! On n’imagine pas ses sacrifices ! Elle devrait baiser ses pieds ! Il est si généreux, si bon ! »

Frédéric jouissait à entendre dénigrer Delmar. Il avait accepté Arnoux. Cette perfidie de Rosanette lui semblait une chose anormale, injuste ; et, gagné par l’émotion de la vieille fille, il arrivait à sentir pour lui comme de l’attendrissement. Tout à Coup, il se trouva devant sa porte ; Mlle Vatnaz, sans qu’il s’en aperçût, lui avait fait descendre le faubourg Poissonnière.

— « Nous y voilà », dit-elle. « Moi, je ne peux pas monter. Mais vous, rien ne vous empêche ? »

— « Pour quoi faire ? »

— « Pour lui dire tout, parbleu ! »

Frédéric, comme se réveillant en sursaut, comprit l’infamie où on le poussait.

— « Eh bien ? » reprit-elle.

Il leva les yeux vers le second étage. La lampe de Mme Arnoux brûlait. Rien effectivement ne l’empêchait de monter.

— « Je vous attends ici. Allez donc ! »

Ce