Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/204

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Ce commandement acheva de le refroidir, et il dit :

— « Je serai là-haut longtemps. Vous feriez mieux de vous en retourner. J’irai demain chez vous. »

— « Non, non ! » répliqua la Vatnaz, en tapant du pied. « Prenez-le ! emmenez-le ? faites qu’il les surprenne »

— « Mais Delmar n’y sera plus »

Elle baissa la tête.

— « Oui, c’est peut-être vrai ? »

Et elle resta sans parler, au milieu de la rue, entre les voitures ; puis, fixant sur lui ses yeux de chatte sauvage :

— « Je peux compter sur vous, n’est-ce pas ? Entre nous deux maintenant, c’est sacré ! Faites donc. À demain ! »

Frédéric, en traversant le corridor, entendit deux voix qui se répondaient. Celle de Mme Arnoux disait :

— « Ne mens pas ! ne mens donc pas ! »

Il entra. On se tut.

Arnoux marchait de long en large, et Madame était assise sur la petite chaise près du feu, extrêmement pâle, l’œil fixe. Frédéric fit un mouvement pour se retirer. Arnoux lui saisit la main, heureux du secours qui lui arrivait.

— « Mais je crains… », dit Frédéric.

— « Restez donc ! » souffla Arnoux dans son oreille. Madame reprit :

— « Il faut être indulgent, monsieur Moreau ! Ce sont de ces choses que l’on rencontre parfois dans les ménages. »

— « C’est qu’on les y met », dit gaillardement Arnoux. « Les femmes vous ont des lubies ! Ainsi, celle-là, par exemple, n’est pas mauvaise. Non, au contraire ! Eh bien, elle s’amuse depuis une heure à me taquiner avec un tas d’histoires. »

— « Elles sont vraies ! » répliqua Mme Arnoux impatientée. « Car, enfin, tu l’as acheté. »