Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/236

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Un matin (trois semaines après leur entrevue), M. Dambreuse lui écrivit qu’il l’attendait le jour même, dans une heure.

En route, l’idée des Arnoux l’assaillit de nouveau ; et, ne découvrant point de raison à leur conduite, il fut pris par une angoisse, un pressentiment funèbre. Pour s’en débarrasser, il appela un cabriolet et se fit conduire rue Paradis.

Arnoux était en voyage.

— « Et Madame ? »

— « À la campagne, à la fabrique ! »

— « Quand revient Monsieur ? »

— « Demain, sans faute ! »

Il la trouverait seule ; c’était le moment. Quelque chose d’impérieux criait dans sa conscience : « Vas-y donc ! » Mais M. Dambreuse ? « Eh bien, tant pis ! Je dirai que j’étais malade. » Il courut à la gare ; puis, dans le wagon « J’ai eu tort, peut-être ? Ah bah ! qu’importe. »

À droite et à gauche, des plaines vertes s’étendaient le convoi roulait ; les maisonnettes des stations glissaient comme des décors, et la fumée de la locomotive versait toujours du même côté ses gros flocons qui dansaient sur l’herbe quelque temps, puis se dispersaient.

Frédéric, seul sur sa banquette, regardait cela, par ennui, perdu dans cette langueur que donne l’excès même de l’impatience. Mais des grues, des magasins, parurent.

C’était Creil.

La ville, construite au versant de deux collines basses (dont la première est nue et la seconde couronnée par un bois), avec la tour de son église, ses maisons inégales et son pont de pierre, lui semblait avoir quelque chose de gai, de discret et de bon. Un grand bateau plat descendait au fil de l’eau, qui clapotait fouettée par le vent ; des poules, au pied du calvaire,