Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/246

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pattes de son bonnet tombaient comme les bandelettes d’un sphinx ; son profil pur se découpait en pâleur au milieu de l’ombre.

Il avait envie de se jeter à ses genoux. Un craquement se fit dans le couloir, il n’osa.

Il était empêché, d’ailleurs, par une sorte de crainte religieuse. Cette robe, se confondant avec les ténèbres, lui paraissait démesurée, infinie, insoulevable ; et précisément à cause de cela son désir redoublait. Mais, la peur de faire trop et de ne pas faire assez lui ôtait tout discernement.

— « Si je lui déplais », pensait-il, « qu’elle me chasse ! Si elle veut de moi, qu’elle m’encourage ! »

Il dit en soupirant :

— « Donc, vous n’admettez pas qu’on puisse aimer… une femme ? »

Mme Arnoux répliqua :

— « Quant elle est à marier, on l’épouse ; lorsqu’elle appartient à un autre, on s’éloigne. »

— « Ainsi le bonheur est impossible ? »

— « Non ! Mais on ne le trouve jamais dans le mensonge, les inquiétudes et le remords. »

— « Qu’importe ! s’il est payé par des joies sublimes. »

— « L’expérience est trop coûteuse. ! »

Il voulut l’attaquer par l’ironie.

— « La vertu ne serait donc que de la lâcheté ? »

— « Dites de la clairvoyance, plutôt. Pour celles même qui oublieraient le devoir ou la religion, le simple bon sens peut suffire. L’égoïsme fait une base Solide à la sagesse. »

— « Ah quelles maximes bourgeoises vous avez ! »

— « Mais je ne me vante pas d’être une grande dame ! »

À ce moment-là, le petit garçon accourut.

— « Maman, viens-tu dîner ? »

— « Oui, tout à l’heure ! »