Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/255

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une jardinière pleine de roses. La Maréchale fut jalouse de ces gloires ; pour qu’on la remarquât, elle se mit à faire de grands gestes et à parler très haut.

Des gentlemen la reconnurent, lui envoyèrent des saluts. Elle y répondait en disant leurs noms à Frédéric. C’étaient tous comtes, vicomtes, ducs et marquis ; et il se rengorgeait, car tous les yeux exprimaient un certain respect pour sa bonne fortune.

Cisy n’avait pas l’air moins heureux dans le cercle d’hommes mûrs qui l’entourait. Ils souriaient du haut de leurs cravates, comme se moquant de lui ; enfin il tapa dans la main du plus vieux et s’avança vers la Maréchale.

Elle mangeait avec une gloutonnerie affectée une tranche de foie gras ; Frédéric, par obéissance, l’imitait, en tenant une bouteille de vin sur ses genoux.

Le milord reparut, c’était Mme Arnoux. Elle pâlit extraordinairement.

— « Donne-moi du champagne ! » dit Rosanette.

Et, levant le plus haut possible son verre rempli, elle s’écria :

— « Ohé là-bas ! les femmes honnêtes, l’épouse de mon protecteur, ohé ! »

Des rires éclatèrent autour d’elle, le milord disparut.

Frédéric la tirait par sa robe, il allait s’emporter. Mais Cisy était là, dans la même attitude que tout à l’heure ; et, avec un surcroît d’aplomb, il invita Rosanette à dîner pour le soir même.

— « Impossible ! » répondit-elle. « Nous allons ensemble au café Anglais. »

Frédéric, comme s’il n’eût rien entendu, demeura muet ; et Cisy quitta la Maréchale d’un air désappointé.

Tandis qu’il lui parlait, debout contre la portière de droite, Hussonnet était survenu du côté gauche, et, relevant ce mot de café Anglais :

— « C’est un joli établissement ! si l’on y cassait une croûte, hein ? »