Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

breuse pouvait encore se repentir et rendre des services.

Le jeune homme était troublé en allant chez eux.

— « J’aurais mieux fait de prendre mon habit. On m’invitera sans doute au bal pour la semaine prochaine ? Que va-t-on me dire ? »

L’aplomb lui revint en songeant que M. Dambreuse n’était qu’un bourgeois, et il sauta gaillardement de son cabriolet sur le trottoir de la rue d’Anjou.

Quand il eut poussé une des deux portes cochères, il traversa la cour, gravit le perron et entra dans un vestibule pavé en marbre de couleur.

Un double escalier droit, avec un tapis rouge à baguettes de cuivre, s’appuyait contre les hautes murailles en stuc luisant. Il y avait, au bas des marches, un bananier dont les feuilles larges retombaient sur le velours de la rampe. Deux candélabres de bronze tenaient des globes de porcelaine suspendus à des chaînettes ; les soupiraux des calorifères béants exhalaient un air lourd ; et l’on n’entendait que le tic-tac d’une grande horloge, dressée à l’autre bout du vestibule, sous une panoplie.

Un timbre sonna ; un valet parut, et introduisit Frédéric dans une petite pièce, où l’on distinguait deux coffres-forts, avec des casiers remplis de cartons. M. Dambreuse écrivait au milieu, sur un bureau à cylindre.

Il parcourut la lettre du père Roque, ouvrit avec son canif la toile qui enfermait les papiers, et les examina.

De loin, à cause de sa taille mince, il pouvait sembler jeune encore. Mais ses rares cheveux blancs, ses membres débiles et surtout la pâleur extraordinaire de son visage, accusaient un tempérament délabré. Une énergie impitoyable reposait dans ses yeux glauques, plus froids que des yeux de verre. Il avait les pommettes saillantes, et des mains à articulations noueuses.

Enfin, s’étant levé, il adressa au jeune homme quel-