Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/275

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de le satisfaire enfin ; il éprouvait comme un orgueil de virilité, une surabondance de forces intimes qui l’enivraient. Il avait besoin de deux témoins. Le premier auquel il songea fut Regimbart ; et il se dirigea tout de suite vers un estaminet de la rue Saint-Denis. La devanture était close. Mais de la lumière brillait à un carreau, au-dessus de la porte. Elle s’ouvrit, et il entra, en se courbant très bas sous l’auvent.

Une chandelle, au bord du comptoir, éclairait la salle déserte. Tous les tabourets, les pieds en l’air, étaient posés sur les tables. Le maître et la maîtresse avec leur garçon soupaient dans l’angle près de la cuisine ; — et Regimbart, le chapeau sur la tête, partageait leur repas, et même gênait le garçon, qui était contraint à chaque bouchée de se tourner de côté, quelque peu. Frédéric, lui ayant conté la chose brièvement, réclama son assistance. Le Citoyen commença par ne rien répondre ; il roulait des yeux, avait l’air de réfléchir, fit plusieurs tours dans la salle, et dit enfin :

— « Oui, volontiers ! »

Et un sourire homicide le dérida, en apprenant que l’adversaire était un noble.

— « Nous le ferons marcher tambour battant, soyez tranquille ! D’abord,… avec l’épée… »

— « Mais peut-être », objecta Frédéric, « que je n’ai pas le droit… »

— « Je vous dis qu’il faut prendre l’épée ! » répliqua brutalement le Citoyen. « Savez-vous tirer ? »

— « Un peu ! »

— « Ah ! un peu ! voilà comme ils sont tous ! Et ils ont la rage de faire assaut ! Qu’est-ce que ça prouve, la salle d’armes ! Écoutez-moi : tenez-vous bien à distance en vous enfermant toujours dans des cercles, et rompez ! rompez ! C’est permis. Fatiguez-le ! Puis fendez-vous dessus, franchement ! Et surtout pas de malice, pas de coups à la La Fougère non ! de simples une-deux, des dégagements. Tenez, voyez-vous ? en