Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/280

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— « Mais est-ce qu’on a le droit de se battre en duel ? »

— « C’est un reste de barbarie ! Que voulez-vous ! »

Par complaisance, le pédagogue s’invita lui-même à dîner. Son élève ne mangea rien, et, après le repas, sentit le besoin de faire un tour.

Il dit en passant devant une église :

— « Si nous entrions un peu… pour voir ? »

M. Vezou ne demanda pas mieux, et même lui présenta de l’eau bénite.

C’était le mois de Marie, des fleurs couvraient l’autel, des voix chantaient, l’orgue résonnait. Mais il lui fut impossible de prier, les pompes de la religion lui inspirant des idées de funérailles ; il entendait comme des bourdonnements de De profundis.

— « Allons-nous-en ! Je ne me sens pas bien ! »

Ils employèrent toute la nuit à jouer aux cartes. Le Vicomte s’efforça de perdre, afin de conjurer la mauvaise chance, ce dont M. Vezou profita. Enfin, au petit jour, Cisy, qui n’en pouvait plus, s’affaissa sur le tapis vert, et eut un sommeil plein de songes désagréables.

Si le courage, pourtant, consiste à vouloir dominer sa faiblesse, le Vicomte fut courageux, car, à la vue de ses témoins qui venaient le chercher, il se roidit de toutes ses forces, la vanité lui faisant comprendre qu’une reculade le perdrait. M. de Comaing le complimenta sur sa bonne mine.

Mais, en route, le bercement du fiacre et la chaleur du soleil matinal l’énervèrent. Son énergie était retombée. Il ne distinguait même plus où l’on était.

Le Baron se divertit à augmenter sa frayeur, en parlant du « cadavre », et de la manière de le rentrer en ville, clandestinement. Joseph donnait la réplique ; tous deux, jugeant l’affaire ridicule, étaient persuadés qu’elle s’arrangerait.