Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/289

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On regardait un portrait de femme, avec cette ligne écrite au bas en lettres noires : « Mlle Rose-Annette Bron, appartenant à M. Frédéric Moreau, de Nogent. »

C’était bien elle, — ou à peu près, — vue de face, les seins découverts, les cheveux dénoués, et tenant dans ses mains une bourse de velours rouge, tandis que, par derrière, un paon avançait son bec sur son épaule, en couvrant la muraille de ses grandes plumes en éventail.

Pellerin avait fait cette exhibition pour contraindre Frédéric au payement, persuadé qu’il était célèbre et que tout Paris, s’animant en sa faveur, allait s’occuper de cette misère.

Était-ce une conjuration ? Le peintre et le journaliste avaient-ils monté leur coup ensemble ?

Son duel n’avait rien empêché. Il devenait ridicule, tout le monde se moquait de lui.

Trois jours après, à la fin de juin, les actions du Nord ayant fait quinze francs de hausse, comme il en avait acheté deux mille l’autre mois, il se trouva gagner trente mille francs. Cette caresse de la fortune lui redonna confiance. Il se dit qu’il n’avait besoin de personne, que tous ses embarras venaient de sa timidité, de ses hésitations. Il aurait dû commencer avec la Maréchale brutalement, refuser Hussonnet dès le premier jour, ne pas se compromettre avec Pellerin ; et, pour montrer que rien ne le gênait, il se rendit chez Mme Dambreuse, à une de ses soirées ordinaires.

Au milieu de l’antichambre, Martinon, qui arrivait en même temps que lui, se retourna.

— « Comment, tu viens ici, toi ? » avec l’air surpris et même contrarié de le voir.

— « Pourquoi pas ? »

Et, tout en cherchant la cause d’un tel abord, Frédéric s’avança dans le salon.

La lumière était faible, malgré les lampes posées dans les coins ; car les trois fenêtres, grandes ouvertes,