Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/320

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chez elle, n’importe ! il n’eût point donné cette rencontre pour la plus belle des aventures ; et il en ruminait la douceur tout en continuant sa route.

Deslauriers, surpris de le voir, dissimula son dépit, — car il conservait par obstination quelque espérance encore du côté de Mme Arnoux ; et il avait écrit à Frédéric de rester là-bas, pour être plus libre dans ses manœuvres.

Il dit cependant qu’il s’était présenté chez elle, afin de savoir si leur contrat stipulait la communauté ; alors, on aurait pu recourir contre la femme ; « et elle a fait une drôle de mine quand je lui ai appris ton mariage. »

— « Tiens ! quelle invention ! »

— « Il le fallait, pour montrer que tu avais besoin de tes capitaux ! Une personne indifférente n’aurait pas eu l’espèce de syncope qui l’a prise. »

— « Vraiment ? » s’écria Frédéric.

— « Ah ! mon gaillard, tu te trahis ! Sois franc, voyons ! »

Une lâcheté immense envahit l’amoureux de Mme Arnoux.

— « Mais non !… je t’assure !… ma parole d’honneur »

Ces molles dénégations achevèrent de convaincre Deslauriers. Il lui fit des compliments. Il lui demanda « des détails ». Frédéric n’en donna pas, et même résista à l’envie d’en inventer.

Quant à l’hypothèque, il lui dit de ne rien faire, d’attendre. Deslauriers trouva qu’il avait tort, et même fut brutal dans ses remontrances.

Il était d’ailleurs plus sombre, malveillant et irascible que jamais. Dans un an, si la fortune ne changeait pas, il s’embarquerait pour l’Amérique ou se ferait sauter la cervelle. Enfin il paraissait si furieux contre tout et d’un radicalisme tellement absolu que Frédéric ne put s’empêcher de lui dire :