Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/384

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

son ancien boudoir furent suffisantes pour donner aux trois pièces un air coquet. On eut des stores chinois, une tente sur la terrasse, dans le salon un tapis de hasard encore tout neuf, avec des poufs de soie rose. Frédéric avait contribué largement à ces acquisitions ; il éprouvait la joie d’un nouveau marié qui possède enfin une maison à lui, une femme à lui ; et, se plaisant là beaucoup, il venait y coucher presque tous les soirs.

Un matin, comme il sortait de l’antichambre, il aperçut au troisième étage, dans l’escalier, le shako d’un garde national qui montait. Où allait-il donc ? Frédéric attendit. L’homme montait toujours, la tête un peu baissée : il leva les yeux. C’était le sieur Arnoux. La situation était claire. Ils rougirent en même temps, saisis par le même embarras.

Arnoux, le premier, trouva moyen d’en sortir.

— « Elle va mieux, n’est-il pas vrai ? » comme si, Rosanette étant malade, il se fût présenté pour avoir de ses nouvelles.

Frédéric profita de cette ouverture.

— « Oui, certainement ! Sa bonne me l’a dit, du moins », voulant faire entendre qu’on ne l’avait pas reçu.

Puis ils restèrent face à face, irrésolus l’un et l’autre, et s’observant. C’était à qui des deux ne s’en irait pas. Arnoux, encore une fois, trancha la question.

— « Ah ! bah ! je reviendrai plus tard ! Où vouliez-vous aller ? Je vous accompagne ! »

Et, quand ils furent dans la rue, il causa aussi naturellement que d’habitude. Sans doute, il n’avait point le caractère jaloux, ou bien il était trop bonhomme pour se fâcher.

D’ailleurs, la patrie le préoccupait. Maintenant il ne quittait plus l’uniforme. Le 29 mars, il avait défendu les bureaux de la Presse. Quand on envahit la Chambre il se signala par son courage, et il fut du banquet offert à la garde nationale d’Amiens.