Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/429

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Jamais Frédéric n’avait été plus loin du mariage. D’ailleurs, Mlle Roque lui semblait une petite personne assez ridicule. Quelle différence avec une femme comme Mme Dambreuse ! Un bien autre avenir lui était réservé ! Il en avait la certitude aujourd’hui ; aussi n’était-ce pas le moment de s’engager, par un coup de cœur, dans une détermination de cette importance. Il fallait maintenant être positif ; — et puis il avait revu Mme Arnoux. Cependant la franchise de Louise l’embarrassait.

Il répliqua : — « As-tu bien réfléchi à cette démarche ? »

— « Comment ! » s’écria-t-elle, glacée de surprise et d’indignation.

Il dit que se marier actuellement serait une folie.

— « Ainsi tu ne veux pas de moi ? »

— « Mais tu ne me comprends pas ! »

Et il se lança dans un verbiage très embrouillé, pour lui faire entendre qu’il était retenu par des considérations majeures, qu’il avait des affaires à n’en plus finir, que même sa fortune était compromise (Louise tranchait tout, d’un mot net), enfin que les circonstances politiques s’y opposaient. Donc, le plus raisonnable était de patienter quelque temps. Les choses s’arrangeraient, sans doute ; du moins, il l’espérait ; et, comme il ne trouvait plus de raisons, il feignit de se rappeler brusquement qu’il aurait dû être depuis deux heures chez Dussardier.

Puis, ayant salué les autres, il s’enfonça dans la rue Hauteville, fit le tour du Gymnase, revint sur le boulevard, et monta en courant les quatre étages de Rosanette.

M. et Mme Arnoux quittèrent le père Roque et sa fille, à l’entrée de la rue Saint-Denis. Ils s’en retournèrent sans rien dire ; lui, n’en pouvant plus d’avoir bavardé, et elle, éprouvant une grande lassitude ; elle s’appuyait même sur son épaule. C’était le seul homme qui eût montré pendant la soirée des sentiments hon-