Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/449

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après tout, n’était pas en soi une chose si importante.

— « Mais c’est immoral, ce que vous dites là ! » Elle s’était remise sur la causeuse. Il s’assit au bord, contre ses pieds.

— « Ne voyez-pas que je mens ! Car, pour plaire aux femmes, il faut étaler une insouciance de bouffon ou des fureurs de tragédie ! Elles se moquent de nous quand on leur dit qu’on les aime, simplement ! Moi, je trouve ces hyperboles où elles s’amusent une profanation de l’amour vrai ; si bien qu’on ne sait plus comment l’exprimer, surtout devant celles… qui ont… beaucoup d’esprit. »

Elle le considérait les cils entre-clos. Il baissait la voix, en se penchant vers son visage.

— « Oui ! vous me faites peur ! Je vous offense, peut-être ?… Pardon !… Je ne voulais pas dire tout cela ! Ce n’est pas ma faute ! Vous êtes si belle »

Mme Dambreuse ferma les yeux, et il fut surpris par la facilité de sa victoire. Les grands arbres du jardin qui frissonnaient mollement s’arrêtèrent. Des nuages immobiles rayaient le ciel de longues bandes rouges, et il y eut comme une suspension universelle des choses. Alors, des soirs semblables, avec des silences pareils, revinrent dans son esprit, confusément. Où était-ce ?…

Il se mit à genoux, prit sa main, et lui jura un amour éternel. Puis, comme il partait, elle le rappela d’un signe et lui dit tout bas :

— « Revenez dîner ! Nous serons seuls ! »

Il semblait à Frédéric, en descendant l’escalier, qu’il était devenu un autre homme, que la température embaumante des serres chaudes l’entourait, qu’il entrait définitivement dans le monde supérieur des adultères patriciens et des hautes intrigues. Pour y tenir la première place, il suffisait d’une femme comme celle-là. Avide, sans doute, de pouvoir et d’action, et mariée à