Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/46

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Mme Arnoux. Sans doute, on pénétrait chez elle par le cabinet près du divan ? Arnoux, pour prendre un mouchoir, venait de l’ouvrir ; Frédéric avait aperçu, dans le fond, un lavabo. Mais une sorte de grommellement sortit du coin de la cheminée ; c’était le personnage qui lisait son journal, dans le fauteuil. Il avait cinq pieds neuf pouces, les paupières un peu tombantes, la chevelure grise, l’air majestueux — et s’appelait Regimbart.

— « Qu’est-ce donc, citoyen ? » dit Arnoux.

— « Encore une nouvelle canaillerie du Gouvernement ! »

Il s’agissait de la destitution d’un maître d’école.

Pellerin reprit son parallèle entre Michel-Ange et Shakespeare. Dittmer s’en allait. Arnoux le rattrapa pour lui mettre dans la main deux billets de banque. Alors, Hussonnet, croyant le moment favorable :

— « Vous ne pourriez pas m’avancer, mon cher patron ?… »

Mais Arnoux s’était rassis et gourmandait un vieillard d’aspect sordide, en lunettes bleues.

— « Ah ! vous êtes joli, père Isaac ! Voilà trois œuvres décriées, perdues ! Tout le monde se fiche de moi ! On les connaît maintenant ! Que voulez-vous que j’en fasse ? Il faudra que je les envoie en Californie !… au diable ! Taisez-vous ! »

La spécialité de ce bonhomme consistait à mettre au bas de ces tableaux des signatures de maîtres anciens. Arnoux refusait de le payer ; il le congédia brutalement. Puis, changeant de manières, il salua un monsieur décoré, gourmé, avec favoris et cravate blanche.

Le coude sur l’espagnolette de la fenêtre, il lui parla pendant longtemps, d’un air mielleux. Enfin il éclata :

— « Eh ! je ne suis pas embarrassé d’avoir des courtiers, monsieur le comte ! »

Le gentilhomme s’étant résigné, Arnoux lui solda vingt-cinq louis, et, dès qu’il fut dehors :