Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/462

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plus. Personne d’une fausseté aussi profonde, impitoyable d’ailleurs, dur comme un caillou, « un mauvais homme, un mauvais homme ! »

Il échappe des fautes, même aux plus sages. Mme Dambreuse venait d’en faire une, par ce débordement de haine. Frédéric, en face d’elle, dans une bergère, réfléchissait, scandalisé.

Elle se leva, se mit doucement sur ses genoux.

— « Toi seul es bon ! Il n’y a que toi que j’aime ! » En le regardant, son cœur s’amollit, une réaction nerveuse lui amena des larmes aux paupières, et elle murmura :

— « Veux-tu m’épouser ! »

Il crut d’abord n’avoir pas compris. Cette richesse l’étourdissait. Elle répéta plus haut :

— « Veux-tu m’épouser ! »

Enfin, il dit, en souriant :

— « Tu en doutes ? »

Puis une pudeur le prit et, pour faire au défunt une sorte de réparation, il s’offrit à le veiller lui-même. Mais comme il avait honte de ce pieux sentiment, il ajouta d’un ton dégagé :

— « Ce serait peut-être plus convenable. »

— « Oui, peut-être bien », dit-elle, « à cause des domestiques ! »

On avait tiré le lit complètement hors de l’alcôve. La religieuse était au pied ; et au chevet se tenait un prêtre, un autre, un grand homme maigre, l’air espagnol et fanatique. Sur la table de nuit, couverte d’une serviette blanche, trois flambeaux brûlaient.

Frédéric prit une chaise, et regarda le mort.

Son visage était jaune comme de la paille ; un peu d’écume sanguinolente marquait les coins de sa bouche. Il avait un foulard autour du crâne, un gilet de tricot, et un crucifix d’argent sur la poitrine, entre ses bras croisés.

Elle était finie, cette existence pleine d’agitations !