Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/482

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Après avoir passé successivement par la demi-tasse, le grog, le bischof, le vin chaud et même l’eau rougie, il était revenu à la bière ; et, de demi-heure en demi-heure, laissait tomber ce mot : « Bock ! » ayant réduit son langage à l’indispensable. Frédéric lui demanda s’il voyait quelquefois Arnoux.

— « Non ! »

— « Tiens, pourquoi ? »

— « Un imbécile ! »

La politique, peut-être, les séparait, et Frédéric crut bien faire de s’informer de Compain.

— « Quelle brute ! » dit Regimbart.

— « Comment cela ? »

— « Sa tête de veau ! »

— « Ah ! apprenez-moi ce que c’est que la tête de veau ! »

Regimbart eut un sourire de pitié.

— « Des bêtises ! »

Frédéric, après un long silence, reprit :

— « Il a donc changé de logement ? »

— « Qui ? »

— « Arnoux ! »

— « Oui : rue de Fleurus ! »

— « Quel numéro ? »

— « Est-ce que je fréquente les jésuites ? »

— « Comment, jésuites ! »

Le Citoyen répondit, furieux :

— « Avec l’argent d’un patriote que je lui ai fait connaître, ce cochon-là s’est établi marchand de chapelets ! »

— « Pas possible ! »

— « Allez-y voir ! »

Rien de plus vrai ; Arnoux, affaibli par une attaque, avait tourné à la religion ; d’ailleurs, « il avait toujours eu un fond de religion », et (avec l’alliage de mercantilisme et d’ingénuité qui lui était naturel), pour faire son salut et sa fortune, il s’était mis dans le commerce des objets religieux.