Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/501

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Vers la fin du mois de novembre, Frédéric, en passant dans la rue de Mme Arnoux, leva les yeux vers ses fenêtres, et aperçut contre la porte une affiche, où il y avait en grosses lettres :

« Vente d’un riche mobilier, consistant en batterie de cuisine, linge de corps et de table, chemises, dentelles, jupons, pantalons, cachemires français et de l’Inde, piano d’Erard, deux bahuts de chêne Renaissance, miroirs de Venise, poteries de Chine et du Japon. »

— « C’est leur mobilier ! » se dit Frédéric ; et le portier confirma ses soupçons.

Quant à la personne qui faisait vendre, il l’ignorait. Mais le commissaire-priseur, Me Berthelmot, donnerait peut-être des éclaircissements.

L’officier ministériel ne voulut point, tout d’abord, dire quel créancier poursuivait la vente. Frédéric insista. C’était un sieur Sénécal, agent d’affaires ; et Me Berthelmot poussa même la complaisance jusqu’à prêter son journal des Petites Affiches.

Frédéric, en arrivant chez Rosanette, le jeta sur la table tout ouvert.

— « Lis donc ! »

— « Eh bien, quoi ? » dit-elle, avec une figure tellement placide, qu’il en fut révolté.

— « Ah ! garde ton innocence ! »

— « Je ne comprends pas. »

— « C’est toi qui fais vendre Mme Arnoux ? »

Elle relut l’annonce.

— « Où est son nom ? »

— « Eh ! c’est son mobilier ! Tu le sais mieux que moi ! »

— « Qu’est-ce que ça me fait ? » dit Rosanette en haussant les épaules.

— « Ce que ça te fait ? Mais tu te venges, voilà tout ! C’est la suite de tes persécutions ! Est-ce que tu ne l’as pas outragée jusqu’à venir chez elle ! Toi, une